lundi 11 juillet 2016

Comme les Mousquetaires

Ou comment plongeant dans le passé en s'accrochant à une image donnée  par  Paulette sur  laquelle  nous avons écrit  ou  fait  écrire, 






Où Fatima fait dialoguer des anciens d'un ici de l'époque  de la jeunesse de  Paulette. 



           



"Comme les Mousquetaires" de Fatima Mana   d'après une photo de Paulette Vignal....


Ils sont quatre comme les Mousquetaires, inséparables depuis l’enfance. Imprimée sur leur chemise blanche la joie de se retrouver le dimanche, enchevêtrée au repos bien mérité. Plantés en rang parfait devant le bar, un objectif de hasard saisit l’instant. Derrière eux, s’enfile une rue qui se perd dans sa continuité. La campagne toute proche moissonne sa saison.  Fanions et musique pris dans les filets du vent arrosent les ruelles de bonne humeur. Le quotidien du labeur se déshabille et abandonne ses nippes sur les pavés. A quelques pas de nos compères, deux connaissances que le hasard vient de croiser, s’attardent mains dans les poches, et refont au milieu de la rue le monde à leur portée.

C’est le Paul, de la ferme des Balais qui attaque la conversation le premier.

- Tiens l’Emile…Comment tu vas ?
- Et la mère avec ses soixante dix ans bien sonnés… Toujours en forme !
-T’as vu le prix du blé… Il vient de dégringoler !
- Si c’est pas malheureux alors qu’on trime toute la sainte journée pour y arriver !

Emile que le désœuvrement –dimanche oblige, rend bougon, ne se fait pas prier pour rentrer dans la conversation et l’occasion de tuer le temps –c’est toujours ça de gagner !

- Et toi la santé ça va ?

Pas de curiosité malsaine mais un intérêt tranquille habite sa voix.

- Tu sais bien que ce sont ceux de là-haut qui tirent toutes les ficelles
 - c’est toujours la même chose, nous pauvres paysans, on ne fait que subir !
- A croire qu’il faut toujours se battre, que ce soit hier pour un autre ciel, ou aujourd’hui pour notre blé, on’ a pas fini de se donner rendez-vous  au carrefour des résistances pour lutter!
- Et puis t’as vu, même la planète en perd la tête !
- Un déluge par ci, un ouragan par là –il manquerait plus que la grêle s’y mette et nous serions dans de beaux draps !
Parce que chez moi, la batteuse n’est pas encore passée… !

Paul :

- Heureusement qu’on’ peut pas commander la météo, parce qu’avec la politique du chacun pour soi, tous voudraient la part de soleil qu’ils n’ont pas, et alors là les guerres…
- Paraît même qu’elle se réchaufferait dangereusement notre terre et que les océans seraient prêts à la noyer…tu imagines !
- Mais Demain c’est loin !
- Pas tant que ça tu sais…Qu’ils continuent bien avec leur bêton planté de partout !
- Et oui mon pauvre, la terre n’en peut plus de boire la bêtise humaine, alors si elle se mélange à la mer je te dis pas !

Emile, air malicieux et sourire coquin aux yeux, s’aventure sur un terrain plus léger :

- En attendant la mer, tu viens, je te paie le canon !
- Alors comme ça, toi aussi tu fais un petit tour de distraction !

Paul s’attarde un instant rêveur, regard arrêté sur la femme élancée qui vient de les croiser, digne d’un magasine de mode :

- Quel beau brin de fille quand même cette Juliette,  dorée à souhait !
- Je te le ‘fais pas dire !
-Et qu’en tu penses que ça a épousé le fils du Marcel, un moins que rien celui là, et en plus sans un sou vaillant !

Emile :

Bon, on le boit ce canon !

Tous deux s’avancent jusqu’au niveau du café, puis s’y engouffrent, suivis de près par nos quatre copains qui évoluent depuis qu’ils se sont retrouvés, sur la nonchalance dominicale. Tout ce petit monde se mélange autour du comptoir et puise dans les mots de tous les jours pour arroser la discussion.

Juliette quant à elle, marche au milieu de la rue comme si le monde lui appartenait, l’esprit léger, du moins c’est l’impression qu’elle donne. Pour une fois, qu’elle a osé prendre du temps qu’il faudra évidemment rattraper… Elle a bien l’intention d’en profiter ! Un peu d’amusement ne fait de tort à personne pense- t-elle, et puis avec sa sœur à ses côtés, elle ne risque rien

La sœur :

- Est-ce que tout va bien chez toi ?
- Tu m’as l’air un tantinet remuée !

Juliette :

-Oh tu sais, je fais avec… Il en invente toujours d’autres mon drôle !
Figure-toi que pas plus tard qu’hier, il s’est mis en tête de vendre notre ferme… Tu imagines, qu’allons nous devenir ?

La sœur :

Oh mais tu as ton mot à dire ma belle, l’époque des femmes aux bouches cousues est révolue !

Les deux sœurs sont subitement avalées par la foule qui arrive de tous les côtés, la discussion s’arrête net.

Sur la droite, un fouillis de bicyclettes, appuyé contre un mur de pierres séculaires, attend et  témoigne du monde présent.
Les vélos se reluquent… La concurrence est rude.

- Non mais dis  donc toi, avec tes pneus tous crottés, ton proprio aurait au moins pu prendre le temps de t’astiquer un jour de fête, et en plus, quelle puanteur… Non mais tu sors d’où ?
- J’arrive tout droit de la source de la Dunière et crois moi, dévaler un chemin plein d’ornières et de boue, ça vaut son pesant de courage surtout quand on a un casse-cou aux guidons !

Coincée au milieu des rayons, une voix enrouée tente de se mêler à la conversation :

- Moi si j’entends bien que la planète ne tourne plus rond, je n’y suis pour rien !
- Regarde, pas un moteur aux environs, on dirait qu’ils se sont donnés le mot !
Ah mais tu rêves ma belle,  ne crois surtout pas que ce soit une histoire de prise de conscience qui aurait germé d’un coup face à la pollution à outrance que nous subissons !
-Tu sais bien répond son copain, tous autant qu’ils sont, ils veulent d’abord du vent fou dans leur dos et des chemins remplis de coquelicots pour cueillir un peu de liberté histoire de se rassurer!
- Et nous on attend bien sagement que tout ce petit monde ait fini de s’amuser pour rentrer… Et je te dis pas, selon son état on risque même d’atterrir dans le fossé avec une roue voilée en prime !
Au fait, demande l’un des vélos du premier rang, avez-vous déjà pédalé jusqu’aux orgues de Combier ?
- J’avais jamais vu ça…C’est un endroit extraordinaire qui bavarde avec le vent !
- Bon, écoutez dit une vieille bicyclette dont le cadre ne tenait plus que par son nom, il est temps de rentrer… Regardez, la nuit vient de tomber et son ombre dévore déjà les rues !
- Une idée vient de me traverser… Pourquoi ne prendrions-nous pas la clé des champs histoire de leur montrer ce dont on est capable même avec seulement deux roues !

Si personne n’assista au départ groupé des bicyclettes, leur disparition subite fit l’objet d’une merveilleuse légende que l’on brode encore aujourd’hui à la veillée.


                                                                                                                          Fatima Mana 



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